La mélancolie est l'une
des expressions humaines les plus mystérieuses. Elle se fonde sur la tristesse,
émotion qu'on ne souhaite jamais perdurer lorsqu'on la vit et pourtant. La mélancolie vient opérer un dépassement de
celle-ci qu'elle transcende en la ressassant plutôt qu'en l'effaçant. On aurait
presque du mal à comprendre, que plutôt que tenter de s'en défaire on s'y
attarde. La musique brésilienne, elle, la nomme saudade.
"Saudade est un mot portugais, du latin
solitas, atis
qui exprime une mélancolie empreinte de nostalgie,
sans l'aspect maladif."
La maladie de la tristesse
- synonyme d'un mot qui plaît moins celui de 'dépression'. Dépression et
mélancolie sont donc voisines séparées d'une barrière floue, perméable. Est-il alors
plus positif/constructif ou plus négatif/destructeur de recourir à celle-ci? Et
comment expliquer que tant de musiciens en ont fait sujet d'exploitation? Comment
deviner l'effet moteur les ayant poussés à la création plutôt qu'à la
dépression? Et encore plus curieux: pourquoi en tant qu'auditeurs lointains des
maux de l'artiste notre souhait de s'y plonger le temps de minutes entières? Chopin et ses
"Nocturnes". Debussy et son "Clair de Lune". La langueur
troublante des "Six Gnossiennes" de Satie. Astrud Gilberto et sa
pourtant joyeuse "Tristeza". L'égarement perceptible dans "Mr
Tambourine Man" de Bob Dylan. Pour
ne citer que ceux que la mémoire collective reconnaîtra et qui me viennent à
l'esprit.Je me souviens de ma première écoute d'Un parfum de nostalgie de B.S.. C'était peu après les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles. La compagne d'un ami avait péri dans une des voitures de métro. Je me réveillais souvent en pleine nuit humecté de sueurs et de larmes. Et les journées passaient statiques figées par une confusion voilée de désespoir. Puis cette chanson a trouvé écho dans cet état qui m'emmitouflait. Peu explicable car les deux tristesses, celle évoquée et celle vécue, ne présentaient aucun rapport sémantique commun. Et pourtant j'y ai trouvé un réconfort.
Je l'ai réécouté récemment aussi. Lorsque cela n'allait pas très bien avec la personne avec qui j'étais ou encore à l'annonce de la disparition d'une personne-pilier de ma famille très réduite du côté belge. La résonnance était de nouveau trouvée - les images en plus - suivie de nouveau par le réconfort pourtant antinomique de la tristesse de départ. Et c'est bien le fort d'une musique réussie: lorsque son abstraction mélodique permet toutes les envolées émotionnelles possibles à chacun.
Aujourd'hui j'y reviens encore propulsé par l'abandon de la relation avec la personne susmentionnée et par celle-ci. Et si son aide reste précieuse (celle de la chanson), sa lecture est différente. Il m'avait toujours semblé jusqu'alors que volontairement la narration était évasive voire générique dans l'approche du thème de l'amour perdu. En effet, diversité et nombre de mots sont drastiquement limités: respire - parfum - nostalgie - triste - doux - fou. Et c'est sans doute cette écriture qui fait que l'appropriation de la chanson par l'auditeur dans son propre registre émotionnel est aisée. C'est à mon sens l'une des clés de la réussite de la chanson.
Une autre me semble être ancrée dans l'usage de la répétition des mots, vers, couplets ou parties de ceux-ci:
Je respire
Un parfum de nostalgie
Venu je ne sais d'où
Un parfum de nostalgie
Un peu triste mais très doux
Cette récurrence des
termes dont le chant lent et langoureux de B.S. provoque l'envol crée justement
ce qui est une des composantes essentielles de la mélancolie soit: l'ivresse de
ou par la tristesse. Les mots ressassés s'accordent avec la tristesse ressassée
de la mélancolie et l'émotion trouve alors tout son sens. Les mots sous l'effet
de la répétition et de leurs sonorités proches se mêlent et provoque alors un étourdissement
proche de l'ivresse dont il est ici question. Or quand l'ivresse est
recherchée, le réconfort est trouvé; ce
que procure également l'art de la mélancolie. Un projet de chanson mélancolique
mené avec brio donc.
Quant à la musique, de
nature philarmonique elle contribue à la dimension cinématographique de la
chanson et aux apparitions d'images. Piano et violons eux-mêmes - instruments
exemplaires de l'ode mélancolique - desservent le dessein mélancolique global
de l'œuvre. Et lorsque le piano avance imperturbable le rythme bien sur terre,
les violons eux visent l'envol faisant planer d'avantage encore les mots de
B.S.. Enfin, les cuivres rappellent le ton solennel désiré car ici la mélancolie se décline au propos
de la nostalgie. Or nous ne sommes nostalgiques que de moments disparus dont il
faut faire le deuil car uniques et liés à l'instant.
"Un peu triste mais très doux".
La nostalgie est en effet
une belle déclinaison de la mélancolie en ce fait qu'y faire appel plonge dans
le réconfort du souvenir mais aussi force à admettre le caractère volatile et
imprenable du 'moment parfait' qu'on veut éternel: un bánh mì échangé allongé sur un lit face à 'Ricky et Morty', des
improvisations approximatives partagées à la guitare, une balade à deux sur un
vélo au soleil couchant le long des rizières à Hội An, sa jolie robe blanche à
dentelles qui ne lui siéra jamais mieux qu'à l'âge de ses 21 ans, etc.L'image du parfum est aussi habilement choisi car lui-même volatile et aussi (et surtout) provocateur du phénomène dit synésthésique par lequel une odeur rappelle une émotion passée et ce, instantanément et en dépit de nous-mêmes.
Plus personnellement et anecdotiquement, le parfum avait une place prépondérante dans ma relation depuis peu passée. L'écho que je trouve dans cette chanson est donc amplifié par cette connexion directe et, de là, plus troublant encore. C'est d'ailleurs l'ultime chose que nous ayons fait ensemble lors de notre dernière rencontre: acheter un flacon de parfum. Mon appropriation de la chanson en devient alors plus forte. Et malgré moi, celle-ci s'ancrera comme une balise saillante dans mon propre cheminement amoureux qui lorsque je la retrouverai des années plus tard me plongera de nouveau dans la nostalgie de cette saison des pluies de 2017 au Viêtnam.
"
Je respire / Un parfum comme celui / Que vous portiez lorsque vous / M'avez dit
'mon ami / C'est fini entre nous' ".
"Un parfum de nostalgie"
Je respire
Un parfum de nostalgie
Venu je ne sais d'où
Un parfum de nostalgie
Un peu triste mais très doux
Je respire
Un parfum comme celui
Que vous portiez lorsque vous
M'avez dit 'Mon ami
C'est fini entre nous'
Je respire
Un parfum de nostalgie
Venu je ne sais d'où
Un parfum de nostalgie
Un peu triste mais très doux
Je soupire
Il ne subsiste aujourd'hui
Hélas, plus rien de nous
Qu'un parfum de nostalgie
Un parfum qui rend fou
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