lundi 19 décembre 2016

David Bowie - Lazarus


David Bowie

La rétrospective de l’année 2016 se poursuit avec une des chansons les plus fortes de ces douze derniers mois : Lazarus. Si la mort de David Bowie a été aussi tragique que soudaine, elle a été également mise en scène, à l’image de l’icône anglaise, de façon majestueuse et artistique. Le 8 janvier 2016, l’album Blackstar, le 26e en studio de la carrière du musicien, faisait sa grande sortie mondiale sous le feu des projecteurs, le jour même du 69e anniversaire de l'artiste. Deux jours plus tard, le monde entier apprenait, incrédule et abasourdi, la mort de David Bowie qui venait de perdre un combat de 18 mois contre le cancer dont il n’avait jamais rien laissé paraître. La planète musicale était orpheline de l’un de ses plus grands représentants.


Quelques jours auparavant, le public avait découvert en avant-première le clip vidéo du deuxième single de l’album, Lazarus, dont la version digitale était déjà disponible en téléchargement depuis le 17 décembre 2015. L’artiste y apparaît sur son lit de mort, les yeux bandés, le visage émacié, ouvrant sa chanson par les mots suivants : « Look up here, I’m in Heaven ».  Les signes d’une mort annoncée qui, avec le recul des évènements, apparaissent d'une évidence limpide même si, à ce moment-là, personne n'avait voulu les voir... David Bowie aura finalement fait de sa mort, comme de sa vie, une œuvre d’art.

Lien vers le clip officiel : https://www.youtube.com/watch?v=y-JqH1M4Ya8

Cette chanson a également donné son titre à la comédie musicale coécrite à New-York par David Bowie et Enda Welsh en 2015. Elle a été inspirée par le roman de science-fiction L’Homme qui venait d’ailleurs de Walter Trevis, qui lui-même avait déjà été adapté au cinéma par Nicolas Roeg en 1976 avec un certain David Bowie dans le rôle principal. L’histoire raconte les péripéties de Thomas Newton, incarné dans la comédie musicale par Michael C. Hall, un extraterrestre à visage humain qui se retrouve seul sur Terre, incapable de mourir, jusqu’à l’arrivée d’une autre âme perdue qui vient pour le libérer…


David Bowie a fait sa dernière apparition en public lors de l’avant-première, au New York Workshop Theatre de Manhattan le 7 décembre 2015, où il s’est ensuite évanoui dans les coulisses à l’abri des regards d’après les propos du metteur en scène belge Ivo van Hove. Pour ce dernier, l’un des derniers à avoir travaillé avec la légende du rock, il est clair que Bowie a voulu mettre en scène sa propre mort à travers cette pièce. Elle commence d'ailleurs, de façon pratiquement similaire à la chanson, par la phrase « Look, I’m in heaven ».

Lazarus - Comédie musicale

Lazarus est, historiquement, un personnage biblique de l’entourage de Jésus dont l’histoire est relatée par Jean dans le Nouveau Testament. Selon l’apôtre, Lazare de Béthanie (en français), mort depuis quatre jours et placé dans un tombeau, est sorti vivant de sa sépulture sur l’ordre de Jésus. Ce récit aborde ainsi les questions sempiternelles de la vie, de la mort et de la résurrection. Ce sont sans doute ces mêmes questions qui trottaient dans la tête de David Bowie lors des derniers mois de sa vie. Si l’homme David Jones est mort le 10 janvier 2016, l’artiste et son œuvre, eux, vivront éternellement. Le roi est mort, vive le roi !


Lazare de Béthanie (Juan de Flandes)

Lazarus est donc le testament de David Bowie. La chanson commence telle une plainte, une musique de douleur qui traduit la souffrance physique et psychologique. Un son de guitare puissant, quasi-surnaturel, comme venu d’un autre monde, surgit dans la mélodie par intermittence. Le saxophone, si cher à David Bowie, se traine avec grâce, lancinent, obsédant, taraudant l’esprit. Le chanteur commence sa complainte.    


"Look up here, I’m in Heaven"


Il annonce sa mort. Sans détour. Se sachant malade au moment de l’écriture de la chanson, c’est dans la peau d’un condamné qu’il s’adresse à l’auditeur. Il a quelque chose à lui dire. Il veut se confier...

"I’ve got scars that can’t be seen"


David Bowie est atteint d’un cancer qui, insidieusement, se propage à l’intérieur de son corps. A l’inverse des cicatrices, visibles à l’œil nu, celles-ci ne peuvent être perçues par les gens. D’ailleurs, la grande majorité du public n’apprendra l’existence de sa maladie qu’au moment de sa mort. Bowie porte, en outre, au fond de lui les blessures de l’existence, les marques d’une vie vécue à 100 à l'heure.

"I’ve got drama, can’t be stolen"


L’artiste a profité pleinement de la vie, avec ses joies et ses peines, ses bons et ses moins bons moments, ses drames et ses joyeusetés. Tout cela, personne ne pourra jamais le lui enlever.

"Everybody knows me now"


Maintenant qu’il a déclaré une partie de ses secrets à travers les vers précédents, sans toutefois en donner tous les détails, le monde le découvre tel qu’il est au fond de lui. Toute sa vie, il a joué un rôle, il s’est glissé dans la peau de différents personnages (Ziggy Stardust, Aladdin Sane,...), il a réinventé continuellement son œuvre. Véritable caméléon, il était difficile de savoir qui se cachait réellement derrière l’artiste. Mais, en voyant sa vie lui échapper, il semble avoir décidé d’en dévoiler un peu plus sur lui-même.


"Look up here, man, I’m in danger"


Le chanteur interpelle à nouveau son auditeur. Il est en danger. Il chante son agonie et sa peur de mourir. A ces paroles, la tension musicale augmente et l'atmosphère dramatique s'accentue.

"I’ve got nothing else to lose"


A part la vie, David Bowie n’a plus rien à perdre…


"I’m so high it makes my brain whirl"


Son corps et son âme se détachent progressivement l’un de l’autre. L’un reste en bas tandis que l’autre s'élance vers le haut. Son esprit commence déjà à planer au-dessus du monde terrestre. A moins que ce ne soit l’effet des médicaments, de la morphine, qui fasse tourbillonner son cerveau ?  

"Dropped my cell phone down below"


Il se prépare pour le grand voyage. Il ne pourra rien emporter. Ni son téléphone portable, qu'il laissera tomber avec tous les contacts qu'il renferme, ni rien d'autre.


"Ain’t that just like me?"


Lui aussi aura le sentiment de chuter et de perdre toutes ses connections avec les gens autour de lui.

"By the time I got to New York"


David Bowie n’est pas seulement mort à New York, il y a vécu environ vingt ans et se considérait comme un real New Yorker. Né à Londres, son départ vers « la ville qui ne dort jamais » a été un symbole de réussite et de succès.


"I was living like a king
Then I used up all my money
I was looking for your ass"


Il y a vécu une vie trépidante et tumultueuse, une vie faite de plaisir et d’excès, une vie de soirées, de sexe et de drogues (de cocaïne surtout !), bref, une vie rock ‘n’ roll… Il a profité de tout ce qui s’offrait à lui, sans retenue. Il a dépensé beaucoup d’argent. Il a brûlé la chandelle par les deux bouts.


"This way or no way
She’ll know, I’ll be free"


Il n’y aura pas d’autres issues possibles que la mort pour lui. Mais son amour (son épouse Iman ? Sa fille Alexandra ?) comprendra qu’il sera alors libéré de la douleur physique, de la souffrance terrestre.

"Just like that bluebird
Now, ain’t that just like me?"


L’oiseau bleu est un symbole de liberté qui possède une longue tradition dans l’histoire de la musique (« Bluebird of Happiness », « Over the Rainbow », « I’m Always Chasing Rainbows », « The White Cliffs of Dover »,…). Comme l'oiseau, il sera libre et son chant résonnera encore longtemps sur la terre.


"Oh, I’ll be free
Just like that bluebird

Oh, I’ll be free
Aint that just like me?"


Il le chante avec conviction. Il sera libre, ou libéré, plutôt. Ou alors tente-t-il de se convaincre ? Cela le rassurerait au moment de partir... Il laisse trainer le dernier mot (« me-e-e-e-e-e… »), comme si la douleur était trop forte, comme si, cette fois, il partait pour de bon…





Lazarus - David Bowie


Le clip officiel du titre Lazarus a été dévoilé le 7 janvier 2016, soit trois jours seulement avant la mort de David Bowie. Il a été nominé dans plusieurs catégories à l’occasion de la cérémonie des MTV Vidéo Music Awards 2016, sans toutefois remporter de prix. Il a été réalisé par Johan Renck, qui a également dirigé le précédent clip Blackstar, et tourné dans un studio à Brooklyn. On y voit David Bowie, en robe de chambre et les yeux bandés (avec deux boutons cousus au niveau des yeux), sur un lit d’hôpital qui est, en l’occurrence, également son lit de mort. Une personne légèrement inquiétante sort de la garde-robe située dans la même pièce, se glisse sous son lit, tente de le toucher et reste ensuite prostrée en-dessous de lui. S’agit-il de la mort qui vient le chercher ? D’une hallucination due à la prise de médicaments ? Pendant ce temps, le chanteur est couché dans son lit mais semble comme aspiré vers le haut, presqu’en lévitation. Un peu plus tard, un autre David Bowie danse à côté de lui et écrit furtivement des notes dans un carnet. Ses vêtements noirs lignés rappellent ceux de la couverture de l’album Station to Station sorti en 1976 où on pouvait voir l’artiste assis en train de dessiner l’Arbre de Vie. Cet avatar semble représenter le jeune David Bowie, celui qui vivait une vie de roi à New York, celui qui passait son temps à composer des chansons. Ce dernier rentre finalement à reculons dans la garde-robe tandis que l’autre Bowie, celui qui est mourant, s’écroule dans son lit.  

David Bowie - Lazarus (2015)

David Bowie - Station to Station (1976)





  

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