lundi 14 novembre 2016

Alex Cameron - The Comeback




Alex Cameron est surnommé le loser magnifique. Loser parce qu'il a galéré longtemps avant de trouver des oreilles attentives à sa musique. Magnifique parce qu'il a continué à croire de façon touchante au potentiel de ses chansons. C'est vrai que, s'il commence tout doucement à se faire un nom dans le milieu de la musique indé, le succès n'a pas toujours été une évidence pour le musicien australien.

Alors qu'il occupe le rôle de chanteur au sein du trio électro Seekae, composé en outre de ses compatriotes John Hassell et George Nicholas, il décide de se lancer, en parallèle, dans une aventure en solo au début des années 2010. C'est là que les galères commencent. Bloqué à Sydney sans aucun soutien de la part du mainstream australien, il comprend vite que son salut se trouve ailleurs, à l'étranger. Il traîne ainsi sa grande carcasse de 2 mètres de long, en compagnie de son pote saxophoniste Roy Molloy, de petites salles en petites salles, d'hôtels miteux en hôtels miteux, du Vieux Continent aux USA. A l'occasion du South by Southwest (SXSW), à Austin, Texas, il prend d'ailleurs le temps de filmer ses déboires sous la forme d'un documentaire intitulé Reflection. Il met également à disposition du public, en 2014, l'entièreté de son premier album solo, Jumping The Shark, en téléchargement gratuit sur son site internet.




Mais la chance (ou plutôt la persévérance) va finalement sourire à Alex. Après avoir observé de près sa prestation au Pitchfork Music Festival, Jonathan Rado, du groupe californien Foxygen, lui propose de les suivre aux Etats-Unis pour assurer leurs premières parties. A la fin de la tournée, durant laquelle ils joueront pas moins de 30 concerts en un seul mois, Chris Swanson, co-gérant de Secretly Canadian où est signé Foxygen, décide de sortir le disque sur son label.

C'est ainsi que, au cours de l'année 2016, Jumping The Shark voit le jour pour la seconde fois. Ce disque est composé de 8 chansons qui sont autant de petites histoires racontées à la première personne par Alex Cameron. De sa voix de crooner, qui rappelle Alan Vega et David Bowie, il dépeint la vie des anti-héros, des losers et des oubliés de la société, le tout dans une atmosphère synthpop digne des années glorieuses de la fin des '70 et du début des '80.

The Comeback est l'une de ces petites histoires.



Sur des nappes de synthé, quelques accords basiques et une boîte à rythme lo-fi, Alex Cameron raconte la complainte d'un vieux pilier du showbiz aigri qui se sent menacé par la nouvelle génération qui arrive pour lui succéder. Ce dernier critique vertement l'impatience et la fougue de ces jeunes qui brûlent les étapes alors que lui les a franchies une par une, sans ménager ses efforts.

"But they never waited for their turn
They just snatched it up from dirt
From me"

La goutte d'eau qui a fait déborder le vase ? Le fait qu'on lui ait retiré son show en prétextant que celui-ci n'intéressait plus personne ("They say the kids don't wanna see an old dog sing and dance"). On lui a demandé de faire ses valises et, bien qu'il connaisse la cruauté du milieu, cela ne l'a pas empêché d'éprouver tristesse et amertume.

"You been in showbiz long enough
You get a grip on how things work
That don't mean it ain't a surprise
When they come to take your show"

Mais le vieil homme ne compte pas se laisser faire. Il emploiera tous les moyens possibles pour qu'on lui rende son show : son syndicat ("I been syndicated throughout French Amer") et son avocat ("Ahmed, my lawyer, he said you can't do this"). Toutes ces démarches lui redonnent un brin d'espoir.  
   
"We're gonna get my show back"

Malgré tout, le retour de son show s'annonce plus compliqué que prévu ("But they ignored my lawyer, they ignored my wife") et le pessimisme prend le dessus ("And I've sat here thinking, I hate my god damn life"). Il remet en cause son métier d'artiste et son avenir dans le milieu ("I used to be the number one entertainer, now I'm bumpkin with a knife"). Désormais, c'est la résignation qui s'impose à lui.

"I'll never get my show back"   

Avec le recul, il constate pourtant qu'il n'a jamais fait de concession dans son travail ("I never have to jump the shark"). L'expression Jumping the shark, qui est également le titre de l'album d'Alex Cameron, est utilisée pour désigner le moment où une série télévisée baisse notablement en qualité. Le terme fait référence à une scène précise de la série Happy Days où l'on peut voir le personnage de Fonzie sauter de manière peu crédible au-dessus d'un bassin d'eau à l'intérieur duquel nage des requins.

"I never have to jump the shark
Just to get my show back"    

Malgré le fait que le désespoir prenne progressivement le dessus au fil de la chanson, celle-ci se termine sur une ultime note d'espoir. Cet homme brisé aura se revanche. Il fera son comeback.  

"I got too much love stored in me
I got a pain you'll never know
You'll never get my show"  




C'est donc à partir d'un sujet banal et anodin, celui d'un homme sans travail qui essaie de s'auto-convaincre que ses belles années ne sont pas derrière lui, qu'Alex Cameron a construit sa chanson. A l'instar des autres morceaux de l'album, le thème de départ n'est pas spécialement amusant (même s'il le devient parfois dans son traitement) mais il est le reflet d'une réalité observée (ou peut-être même vécue) par le chanteur. A travers ce personnage qu'il décrit, à travers cette tranche de vie marquée par le sceau de l'échec, c'est une part de l'existence d'Alex Cameron qui est dévoilée. 

Pour servir autant que possible la trame narrative de la chanson, la voix d'Alex est mise en exergue, notamment avec un puissant effet de réverbération. A l'inverse, la sonorisation n'est pas un élément essentiel de la chanson même si celle-ci lui donne son atmosphère rétro et sa dimension anachronique. Il est intéressant également de constater, à propos de la sonorisation, que la chaleur des sons utilisés contraste avec la morosité du texte et contribue à conférer au morceau un côté loufoque et décalé.          

Le clip vidéo, réalisé par Britt McCamey, montre Alex Cameron en train d'accomplir une performance habitée sur les planches d'un petit théâtre complètement vide. Le chanteur, vêtu d'un costume, effectue quelques pas de danse et prend la pause avec une gestuelle qui lui est propre et qui est également celle qu'il adopte lors de ses prestations live. La scène et les couleurs bleutées ne sont pas sans rappeler le clip de Can't Feel My Face du groupe The Weeknd.



Roy Molloy et Alex Cameron



The Comeback

You been in showbiz long enough, you get a grip on how things work
That don't mean it ain't a surprise when they come to take your show
I been in showbiz long enough, you need to wait your turn
Wait your turn like me

They say the kids don't wanna see an old dog sing and dance
They say they're done with television, and it ain't gettin' a second chance
But they never waited for their turn, they just snatched it uo from dirt
From me

They're gonna steal my show from me, they're gonna steal my show
When you come in here tellin' me I'm done, to pack my things, to leave and go
You're comin' at the oldest dog in here, you need to wait your turn
Wait your turn like I did

I benn syndicated throughout French Amer
They gave me my severance pay but they never gave me a goddamn
They just stole my show and gave it up to some fat fuck cryin with a song about di-o-beet-us

Ahmed, my lawyer, he said you can't do this
Ahmed wears a suit and tie, come on, Ahmed legit
He's comin' at you like a paralegal nightmare, I got him stayin' up at the Ritz
We're gonna get my show back

We're gonna get my show back, come on, we're gonna get my show
We're gonna get my show back, come on, we're gonna get my show
I got too much love stored in me, I got a pain you'll never know
You'll never get my show

But they ignored my lawyer, and they ignored my wife
And I've sat here thinking, I hate my god damn life
I used to be the number one entertainer, now I'm bumpkin with a knife
I'll never get my show back

So I cut some hose, from the local park
And I rigged my car up, now I'm fumin' in the dark
And I'll tell you all somethin' bout flyin', I never have to jump the shark
Just to get my show back

We're gonna get my show back, come on, we're gonna get my show
We're gonna get my show back, come on, we're gonna get my show
I got too much love stored in me, I got a pain you'll never know
You'll never get my show


3 commentaires:

  1. Fallait aller trouver l'info: Fonzie en ski nautique blouson noir se jouant des requins! :)
    https://www.youtube.com/watch?v=t4ZGKI8vpcg

    Super article, super chanson (je suis pourtant pas trop preneur de la musique d'Alex). Puis j'ai toujours trouvé un certain charme aux chanteurs-losers, point sur lequel ton article m'a particulièrement ouvert les yeux, merci! :)

    Dans la même catégorie et peut-être pour une future analyse je ne peux que te conseiller de te plonger et te perdre dans l'oeuvre de Daniel Johnson car les similarités avec Alex Cameron sont nombreuses (dont l'aspect lo-fi) et ce notamment avec l'album "Hi, how are you" dont la pochette imprimée sur un t-shirt portée à l'époque par Kurt Cobain avait fait connaître indirectement l'artiste au grand public. Les certainement plus connues et que j'aime beaucoup (si tu dois n'en écouter que 2) : "True Love Will Find You In The End" (reprise par Beck) https://www.youtube.com/watch?v=Ma7lyfYzIw8 + "Some Things Last A Long Time" https://www.youtube.com/watch?v=TV6LPx1ezYs

    Bonne découteverte (si c'est le cas)!


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    1. Celle-là "Held the hand" qui clôture le documentaire (à voir) "The devil and Daniel Johnston" est super belle aussi: https://www.youtube.com/watch?v=vb8s2vnmdhk

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    2. Merci pour la belle découverte (Daniel Johnson) ! Je ne connaissais pas et j'aime vraiment beaucoup...

      (Et la vidéo de Fonzie m'a fait bien rire ;))

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